Cette parution donne envie de retrouver l'écriture de Bruno Pellegrino découvert avec Atlas nègre. Son récit autobiographique et/ou roman nous menait à Madagascar et vers la Mongolie. En écho à L'Usage du monde, il nous rappelait que même dans notre ère globalisée, “c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait”.
Ce roman-ci est aussi une histoire de dépaysement, mais dans un déplacement temporel. Le choix de personnages réels laisse croire à un roman biographique. La note qui précise qu'on y trouve des phrases entières de Gustave ou de Marguerite Roud renforce cette illusion.
Mais Pellegrino crée un texte intimiste. Il relate la vie réglée de ce couple atypique, d'une sœur et d'un frère dans leur ferme. Il détaille l'attribution des tâches pour que la vie dans la bâtisse se perpétue comme toujours. Les préoccupations de ces deux-là évoquent mon enfance, quand les cours des fermes, déjà aseptisées, se devaient d'être entretenues selon le critère des anciens. Il ramène à une époque où dans les ménages cohabitaient plusieurs générations ou des fratries.
L'auteur suggère le regard des concitoyens de Roud, poète reconnu, photographe fasciné par les corps sculptés des paysans. On imagine les rideaux qui se tirent lorsque ils reçoivent; les portes qui se ferment quand il part rôder. En insistant sur la rigueur météorologique, si contrastée avec le climat lémanique, il rappelle l'essence rurale de ce qui, aujourd'hui, est une zone d'habitat résidentiel proche de Lausanne. Il installe le Jorat en lieu clos.

Le thermomètre indique moins vingt-trois. À cette température, la terre se crispe, les plantes patientent, les oiseaux s'abstiennent. Madeleine et Gustave connaissent ce vent noir qui laque la planète et donne la migraine, peut durer des jours sans s'abattre, souffle la neige comme du verre, la modèle en congères, rend les routes scintillantes et impraticables. Dans ces conditions, aller là-bas relève de l'expédition et pourtant aujourd'hui, quelqu'un va tenter la traversée, quelqu'un qui tient absolument à parler à Gustave.

p. 39

Le rythme de l'écriture, rapide et efficace, est complémentaire à une langue précise attachée à la terre et à la richesse de sa diversité. Les jours se suivent, à leur rythme.
Autant la vie côté cour est domestiquée et soignée, autant le jardin des Roud est un univers où la nature foisonnante donne lieu à tous les enchantements. La ferme est lieu de passage entre le passé et le présent, entre la banalité des jours et la poésie. Comme elle, Là-bas, août est un mois d’automne, résolument inscrit dans le XXIe s., s'ingénie à nous plonger dans la réalité mystérieuse et intemporelle des êtres et des lieux.

Quand je lève les yeux, je vois simplement des arbres, là où Gustave et Madeleine voyaient des tilleuls, des aulnes, des acacias, des érables. J'écris sur des gens qui étaient capables de nommer les choses, les fleurs et les bêtes, alors que j'ai besoin d'une application sur mon téléphone qui identifie les oiseaux par leur chant, les plantes par la forme de leurs feuilles, et je dois vérifier sur des sites de jardinage la période de semaison du blé et de floraison des cyclamens. C'est peut-être ce qui me fascine, chez ces deux-là, leur manière lente et savante d'éprouver l'épaisseur des jours.

p. 172

Gustave Roud dans le dhs
Site de l'Association des amis de Gustave Roud
Site de l'éditeur, Zoé
Site viceversalitterature.ch
Chronique de Lisbeth Koutchoumoff, Le Temps
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