Rationnel vs émotionnel

Dans son édition du 14 juillet 2016, l’Hebdo publie une interview du statisticien David Spiegelhalter. Ce dernier mesure le risque dans notre existence en utilisant le concept de micromort, soit la probabilité d’un sur un million que l’on a de mourir. Cette vision éminemment rationnelle des dangers qui nous entourent est à l’opposé de nos ressentis.
Selon le Britannique, les médias sont les grands bénéficiaires des peurs qu’ils attisent, de l’indignation qu’ils suscitent pour des événements liés à la vie courante (intervention chirurgicale ratée, accident tragique,…)

Coïncidences L'Hebdo du 14.07.2016

Ce soir-là, 85 personnes ont laissé leur vie parce qu’ils étaient sur la Promenade des Anglais à Nice.

Quinze jours plus tard, après divers attentats terroristes, le magazine publie Le théâtre de la terreur, un texte de Yuval Noah Harari, docteur en histoire médiévale, spécialiste des Croisades, enseignant à l’Université hébraïque de Jérusalem. Paru initialement dans L’Obs en mars 2016, au lendemain des attentas de Bruxelles, ce texte peut aider à contenir nos émotions.
L’auteur différencie le terrorisme et ses répercussions, de la guerre. “Dans le cas du terrorisme, la peur est au cœur de l’affaire, avec une disproportion effarante entre la force effective des terroristes et la peur qu’ils parviennent à inspirer.” Ou encore “les terroristes n’ont pas trop le choix. Ils sont si faibles qu’ils n’ont pas les moyens de couler une flotte ou de détruire une armée. Ils ne peuvent pas mener de guerre régulière. Alors, ils choisissent de faire dans le spectaculaire pour, espèrent-ils, provoquer l’ennemi, et le faire réagir de façon disproportionnée.” Il donne comme exemple de réaction disproportionnée le renversement de Saddam Hussein qui a créé un terreau fertile aux terroristes.
Les affirmations de Harari sont déconcertantes, mais devraient inspirer les gouvernements des pays choisis pour cible : “si l’on veut combattre le terrorisme efficacement, il faut prendre conscience que rien de ce que les terroristes font ne peut vraiment nous détruire. C’est nous seuls qui nous détruisons nous-mêmes, si nous surréagissons et donnons les mauvaises réponses à leurs provocations.”
L’auteur analyse également le mécanisme qui nous rend si fragiles face aux violences actuelles. “Paradoxalement, […] c’est parce qu’ils ont réussi à contenir la violence politique que les États modernes sont particulièrement vulnérables face au terrorisme. Un acte de terreur qui serait passé inaperçu dans un royaume médiéval affectera bien davantage les États modernes, touchés au cœur. L’État a tant martelé qu’il ne tolérerait pas de violence politique à l’intérieur de ses frontières qu’il est maintenant contraint de considérer tout acte de terrorisme comme intolérable. Les citoyens, pour leur part, se sont habitués à une absence totale de violence politique, de sorte que le théâtre de la terreur fait naître en eux une peur viscérale de l’anarchie, comme si l’ordre social était sur le point de s’effondrer. ”
Harari propose quelques pistes pour agir face au terrorisme et privilégier le rationnel à l’émotionnel. “Pour réussir, la lutte devrait être menée sur trois fronts. Les gouvernements, d’abord, devraient se concentrer sur une action discrète contre les réseaux terroristes. Les médias, ensuite, devraient relativiser les événements et éviter de basculer dans l’hystérie. Le théâtre de la terreur ne peut fonctionner sans publicité. […] Le troisième front, enfin, est celui de notre imagination à tous. Les terroristes tiennent notre imagination captive, et l’utilisent contre nous. Sans cesse, nous rejouons les attaques terroristes dans notre petit théâtre mental, nous repassant en boucle les attaques du 11 Septembre ou les attentats de Bruxelles. Pour cent personnes tuées, cent millions s’imaginent désormais qu’il y a un terroriste tapi derrière chaque arbre. Il en va de la responsabilité de chaque citoyen et de chaque citoyenne de libérer son imagination, et de se rappeler quelles sont les vraies dimensions de la menace. C’est notre propre terreur intérieure qui incite les médias à traiter obsessionnellement du terrorisme et le gouvernement à réagir de façon démesurée.”