Des éléphants dans le jardin

Meral Kureyshi, Des Eléphants dans le jardin, 2017, Ed. de l'Aire

Les deux premières phrases sont claires : il sera question de deuil. Celui du père qui voulait être enterré dans son pays. Cette disparition permet l'expression d'émotions enfouies. Baba avait décidé du destin de sa famille; elle émigrerait en Suisse. Il n'y réaliserait pas son rêve.

Dans notre cas, cette procédure d'asile a duré treize ans.
Treize ans sans quitter la Suisse.
Treize ans sans avoir de travail légal.
Treize ans avec la peur d'être expulsés.
Au bout de ces treize ans, j'étais devenue une femme et mes grands-parents étaient décédés.

p. 73-74

La narratrice conserve des images fortes des étapes de cette procédure. De l'accueil dans un bunker de la Protection civile, du séjour dans un hôtel désaffecté puis de l'apprivoisement d'un logement indépendant. Meral Kureyshi, elle-même turque de Prizren, exprime la honte de la différence que la narratrice ressent d'autant plus intensément qu'elle est adolescente. Comment rendre sa vie extraordinaire quand on a l'impression d'être englué dans la banalité du présent ?
La précarité est source de l'irritabilité des parents. Le tabac ne suffit pas à calmer les tensions, notamment dues à l'inactivité. L'interdiction de travail rend l'enracinement problématique et la réalisation des rêves inaccessible.
La perte de l'être cher provoque le débordement, pêle-mêle, des émotions. Le deuil renvoie aux origines mais la narratrice découvre que la migration les a altérées. Elle ironise alors sur sa mère qui s'embrouille en rabâchant "Je me suis intégrée en Suisse très bien".

Je n'aime pas la langue allemande. L'allemand est ma langue maternelle. Ma mère ne parle pas l'allemand.

p. 172

Baba est mort; son vœu d'être enterré à Prizren oblige à un retour en Kosovë où la narratrice a aussi forgé les souvenirs qui tissent son roman. Un récit de liens et de ruptures dans lequel l'être humain se sent parfois marionnette.
Prizren

Prizren
"Les ruelles sont étroites et inclinées, on dirait que ce sont les câbles électriques qui font tenir la ville ensemble." p. 50



Critique de Stéphane Maffli, Le Temps
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