La tyrannie des modes de vie

La tyrannie des modes de vie
Sur le paradoxe moral de notre temps
Mark Hunyadi, Lormont, Éditions du Bord de l'eau, 2015

La coexistence de plus en plus visible de comités d'éthique divers et de conditions de vie, notamment professionnelle, qui croissent en complexité est un des paradoxes de notre temps dont traite Mark Hunyadi dans son essai.
Dans une première partie, il développe ses observations. Il relève notamment le réel souci d'analyser les conséquences de l'introduction de nouvelles technologies sur la vie sociale. Il remarque également une pression pour que l'individu respecte davantage les tiers et l'environnement. Malgré un effet civilisateur incontestable, il trouve la démarche ambiguë. Cette recherche est inaboutie parce qu'elle ne considère pas les conséquences de manière globale, mais dans un cadre restreint. L'auteur parle de Petite éthique pour caractériser cette approche.

Une institution comme le système bancaire, par exemple, un principe comme celui d'égalité, une mentalité comme le culte du profit, un type de rationalité comme la quantification de tout le donné: tout cela engendre bien plus que tel ou tel phénomène caractéristique de la modernité, cela détermine des modes de vie auxquels nous n'avons pas le choix d'échapper et qui nous imprègnent jusque dans la manière dont nous nous comprenons nous-mêmes. Il s'agit donc d'envisager notre monde sous l'aspect de ce qu'il nous impose alors même que personne ne l'a choisi. (p. 18)

Il détaille les conséquences de la robotisation sur notre vie quotidienne, montre les questions que cela soulève et distingue celles qui sont vraiment approfondies et celles qui sont ignorées.
Alors que l'éthique a pour objectif de rechercher une vie bonne, la Petite éthique ne se concentre que sur des aspects partiels de nos existences.
Les mutations technologiques et sociales à l'œuvre dans nos sociétés influent sur le mode de vie. "Le mode de vie nous impose des attitudes, des habitus, et des attentes de comportement qui ne sont l'objet d'aucun choix mais qui définissent, simplement, les usages et les pratiques qui sont socialement requis : les modes de vie ne sont pas optionnels." (p. 47)
Hunyadi précise que les modes de vie émergent, sans que personne (individu ou groupe) ne l’ait voulu. Il en voit la cause dans la séparation stricte qui existe dans nos sociétés entre le privé (vous et moi) et le public (représenté par l’État). Ce principe de notre organisation libérale contraint l’éthique à rester « petite »; l’immixtion du politique pourrait porter à la sacro-sainte liberté individuelle.

[…] l'avènement de l'individu est […] la meilleure garantie pour les systèmes instrumentaux - économiques, financiers, technoscientifiques - désormais mondialisés de pouvoir déployer à leur guise des réseaux complexes face auxquels les individus, mais aussi les communautés ou les États, se trouvent politiquement et éthiquement démunis. (p. 35)

Le récent débat sur la loi fédérale sur le renseignement l’a encore rappelé.
Les propositions faites pour améliorer la situation, dans la partie intitulée « politique », reposent sur un renouvellement de la démocratie. L’auteur suggère de s'appuyer sur les réseaux sociaux pour faire connaître l’opinion des individus dans un « Parlement virtuel des modes de vie ». Cette proposition me semble particulièrement incongrue dans la mesure où l'Internet représente l'une des fractures de notre société… Il reconnaît d'ailleurs l’ironie de la situation en suggérant que "c’est peut-être le produit – Internet – le plus envahissant de nos modes de vie adémocratiques qui nous fournira l’outil d’une démocratie renouvelée." (p.112).
D’autre voies sont proposées pour restructurer radicalement la démocratie, comme celle de l’historien belge David Van Reybrouck selon lequel seul le tirage au sort peut sauver la démocratie. (> interview dans L’Hebdo, > son livre Contre les élections chez Actes Sud)

Le site de Mark Hunyadi