Faire paysan

Hofmann Blaise. Faire paysan. Zoé, 2023

[C]e livre n'est pas un manuel de politique agricole. Je n'ai évidemment pas la prétention de proposer des solutions. Je n'en ai pas l'envie, et encore moins les compétences. Je souhaite simplement transcrire un maximum de points de vue, ouvrir le débat, apporter de la nuance et partager des informations.

p. 75

Derrière ce titre, une certaine ambiguïté :
Faire paysan, c'est assurément dépréciatif, le péquenot fruste et inculte dont les cultures sont paradoxalement nécessaires à tant de vies villageoises et citadines.
Faire paysan, c'est envisager un métier exigeant dans un contexte économique particulièrement instable pour la profession, atteindre un idéal de relation à la terre.

Un essai, sous forme d'enquête, dans lequel l'auteur ne craint pas de s'impliquer. Fils de paysans, petit-fils de paysans par sa mère et par son père, il est forcément concerné par la préservation de la terre/Terre. Une origine rurale et une formation de citadin l'incitent à aborder la problématique agricole dans toute sa complexité, évitant autant « l'exaltation naïve du rapport à la terre » que la noirceur d'une guerre irrémédiable entre populations des campagnes et des villes.
Son plaidoyer pour un dialogue entre tenants d'une paysannerie productiviste – soutenus par l'agrobusiness – et les approches romantiques d'une agriculture dans un strict respect du sol, des végétaux et des animaux tient pour une part de l'utopie. Le modèle économique établi pour assurer une certaine autosuffisance de l'approvisionnement a, rappelle-t-il, « permis aux enfants de se libérer des corvées agricoles pour aller à l'école; aux paysans de profiter des progrès en matière d'agronomie et de quadrupler leur production sans étendre leur surface (p. 60) ».
Cette productivité a conduit à des excès et des ajustements, avec l'introduction de paiements directs qui rétribuent les exploitants, notamment pour leurs tâches d'entretien du paysage, ont été acceptés en votation populaire en 1996. Ces mesures compensatoires ont fait de l'agriculture le secteur le plus subventionné de la Confédération, un affront pour les milieux les plus conservateurs. Considérant que les habitant·e·s payent doublement leur nourriture, par leurs impôts et au supermarché certains entendent dicter aux paysan·ne·s leur manière de travailler leurs terres. Un affront supplémentaire pour ces exploitants indépendants.

Dans cette constellation complexe d'intérêts, l'État laisse faire et se comporte vis-à-vis des paysans comme un père indigne. Souvent absent, il se contente de distribuer l'argent de poche et ne daigne se montrer que pour sauver les meubles quand le mal est fait: gel, sécheresse, inondation.

p. 106

Hofmann ne se prive pas de brocarder les agriculteurs qui « préfèrent s'en prendre à ceux qui leur donnent de l'argent – la Confédération, les consommateurs –, plutôt qu'à ceux qui s'enrichissent sur leur dos, ceux qui les exposent à des substances toxiques. On oublie souvent qu'ils sont les premières victimes de la chimie agricole; eux qui ont traité en short et sans masque de protection pendant des décennies. (p. 94) ». L'auteur remarque également que de nombreux projets alternatifs ne sont viables que grâce au soutien de parrains, voire de fondations privées. La nécessité de telles aides rend ce modèle difficilement généralisable dans le cadre politique actuel.

Pourtant, pour vendre ses produits, le paysan a besoin des citadins – qui constituent les quatre cinquièmes de la population suisse actuelle ! –, et ces derniers ne révolutionneront pas le monde agricole sans les agriculteurs.

p. 35

Le fait que le type d'exploitation des sols influence le climat polarise. Au contraire de ce que Blaise Hofmann souhaiterait, les fronts se durcissent alors que, dans leur quotidien, de très nombreux petites exploitants – traditionnels ou non – sont en souffrance et, en raison de la diminution de leur nombre, de plus en plus isolés.

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