Puzzle balkanique
Présentation de l'ouvrage sur le site de Chronos
Le criminel et sa victime ont tous les deux survécu : c’est les conditions préalables du procès [d’Auschwitz]. Ce qui les sépare, aujourd’hui, c’est avant tout la psychologie du souvenir, du mécanisme d’oubli. Les uns veulent oublier et ils ne le peuvent pas, aux autres on demande de se souvenir mais ils ne le peuvent pas non plus, ils ont tout oublié.
Horst Krüger, Un bon Allemand
Entre les empires austro-hongrois et ottoman, les Yougoslaves ont toujours partagé les mêmes terres. La seconde Guerre mondiale n’y a pas réellement pris fin, les contentieux entre les Oustachis (Croates alliés à l’Allemagne) et les Tchetniks (partisans serbes) n’ont toujours été vus que du point de vue des vainqueurs sans considérer la complexité de la réalité. Ces blessures de la Guerre –qui ne se sont pourtant pas pires que dans d’autres pays– ont facilité les manipulations de la population dans les années 1990 lorsque les partis ont fait croire que les agresseurs d’autrefois reprenaient leur besogne.
La solitude des Bosniens
Alors que l'on «célèbre» les 30 ans du massacre de Srebrenica, la situation de la Bosnie-Herzégovine ne suscite pas un grand intérêt bien que les conséquences des Accords de Dayton pèsent sur le quotidien de la population. Cet arrangement, qui devait satisfaire toutes les parties, a créé un monstre administratif aux mains de partis politiques corrompus.
La série documentaire que France Culture consacre à cet État balkanique met l'accent sur le fossé entre les intentions de l'accord de paix et le vécu des Bosniens.
Une préfiguration de la répartition des richesses économiques de l'Ukraine ?
Bosnie-Herzégovine 1995–2025
Srebrenica : chronologie d'un génocide (ONU)
La langue commune, le Serbo-croate, se décline aujourd’hui en quatre idiomes : le bosniaque, le croate, le serbe et le monténégrin, pour des raisons politiques. Cette nouvelle situation freine ainsi la diffusion des écrits entre les diverses entités qui de leur côté favorisent le changement des noms de localités, la correction de livres et la recherche de nouveaux symboles. Alors que les Yougoslaves lisaient les mêmes livres et écoutaient la même musique, les liens entre ces cultures se font maintenant avec l’aide des organisations internationales. Cette réalité est également présente dans les communautés expatriées qui sont très sensibles à la transcription des patronymes.
En Serbie, le renversement du régime de Milosevic n’a pas suffi à rétablir une démocratie et le pays a besoin de sérieuses réformes structurelles et, plus que les autres républiques, de regarder avec lucidité son passé récent. Le rôle des médias dans la propagation des idées nationalistes qui ont conduit aux guerres en Yougoslavie est évident, mais comme l’ont montré les contre-manifestations pendant les funérailles de Milosevic, les courants d’opinion sont plus divers que nous le montre la presse internationale. C’est une raison suffisante pour réviser nos a priori relatifs aux diverses communautés des Balkans et, plus généralement, veiller à garder un esprit critique face à une presse qui caricature souvent la réalité.
La situation en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo est aujourd’hui particulièrement préoccupante. Ces deux régions sont de fait des protectorats dont les ressources proviennent quasi exclusivement des emplois fournis par les différentes organisations garantes des accords internationaux. En Bosnie, ce contrôle sur les deux entités ethniques constitutives du pays ne permet pas la constitution d’un tissu économique et la priorité des droits ethniques sur les droits individuels empêche tout réel processus de démocratisation. Cette situation est particulièrement mal ressentie par les femmes dont le statut s’est dégradé particulièrement dans les zones à prédominance catholique et musulmane.
Au Kosovo, la présence ottomane s’est soldée par un retard économique, que les années du régime titiste n’ont pas vraiment comblé. En réaction à cette discrimination économique, les Albanais se sont forgé une identité culturelle très forte en se présentant comme les descendants des Illyriens, les premiers habitants des Balkans. Cette quête identitaire a renforcé le statut de la langue –non slave– des Kosovars et leur besoin de se trouver des héros nationaux parmi lesquels Skanderbeg (1405-1468). Cependant l’aire linguistique albanaise est séparée en deux zones, celle du Nord où l’on parle le Guègue et celle du Sud où le Tosque (env. un tiers des albanophones) domine. Le dictateur staliniste Enver Hoxha décréta en 1972 que le Tosque modernisé serait la nouvelle langue officielle, emblématique du nationalisme albanais. Cette initiative a rendu difficile la constitution d’une identité kosovare propre, ce qui est particulièrement dommageable dans cette entité multiethnique constituée de 90% d’albanophones. Le statut du Kosovo qui se décidera dans les premiers mois de 2008 pourrait faire éclater de nouveaux conflits avec la possible envie des régions limitrophes de rejoindre un nouvel État ethnique au risque de déstabiliser les minorités. La principale difficulté du nouvel État pourrait être l’absence de tissu économique –ruiné par la guerre- souffrant du manque de légitimation réglementaire et par la perspective du tarissement des sources de capitaux dépendant de la présence de la force internationale.
Les conséquences des conflits dans les Balkans sont donc importantes, mais comme le relève Carla Del Ponte dans sa postface, la majorité des interlocuteurs de René Holenstein sont prêts à poursuivre leurs efforts pour le rétablissement des valeurs fondamentales dans cette région.
À propos des langues :
- Le site de l’Ambassade de Croatie en France apporte de précisions sur la distinction entre le croate et le serbo-croate, un subtil distinguo !
- Jean-Arnaud Dérens, Il était une fois le serbo-croate
- L’Université Laval à Québec apporte une présentation moins politisée de la question http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/Europe/serbo-croate.htm [revu en 2021]
À propos du Kosovo :
- Jeux dangereux à Pristina, Bernard Guetta, dans Le Temps du 22 décembre 2007, s’interroge sur les conséquences d’une indépendance du Kosovo au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
- Autour du Kosovo, une «névrose de la destinée» Joëlle Kuntz, dans Le Temps du 8 décembre 2007, rappelle le contexte historique du contentieux entre Serbes et Kosovars.