La fin est mon commencement

Terzani Tiziano, Le grand voyage de la vie, Un père raconte à son fils. Les Arènes/Intervalles – Points, 2008.

Encore une découverte qui entre dans nos bibliothèques et qui se frotte aux livres qui s'y trouvent déjà pour ouvrir à l'autre et à soi-même…

Atteint d'un cancer en phase terminale, Terzani se détache du monde. Ce lâcher prise s'accompagne d'un retour sur le cours de sa vie qu'il élabore dans une suite d'entretiens avec son fils. Cette oeuvre posthume retrace les faits qui ont marqué la carrière de ce correspondant du Spiegel en Asie.
Le livre met en évidence la tension, toujours présente, entre les événements qui jalonnent l'histoire et le ressenti des individus.
Ce témoignage est ressourçant car il s'accompagne d'un parcours d'introspection que l'on pourrait considérer comme une quête mystique.

Qufu scan 1983
Né dans une famille pauvre des faubourgs de Florence, Terzani vit l'accès à la scolarité et aux études comme un privilège permettant l'ouverture au monde. Son objectif est de permettre à d'autres de vivre cet épanouissement.
Paradoxalement, c'est grâce à l'attribution d'une bourse dans une grande université américaine qu'il s'intéresse à la Chine dont l'idéal maoïste lui semble susceptible de tendre vers une société plus juste.

On est comme on est, pas seulement par sa naissance, mais aussi par la vie qu’on se crée. Mais vous vous rendez compte : aller à vélo jusqu’à Qufu, la ville de Confucius ! Ce n’était pas une belle expérience ? (p. 246)

Curieux d'expérimenter cette vie, Terzani souhaite emmener sa famille en Chine. Mais le régime maintient le pays isolé. Basé à Singapour dès fin 1971, sous contrat avec der Spiegel, Terzani va couvrir la fin de la Guerre du Vietnam et l'aventure rouge sang de Pol Pot au Cambodge.
Son expérience de modeste Italien et d'étudiant à New York l'incite à aborder ce travail journalistique sans se contenter des communiqués officiels. Il ne craint pas un engagement que d'aucuns jugeront subversif.

L'idée, donc, était qu’on pouvait changer la société.
On n'avait que cette idée en tête, les gens de ma génération du moins. Je repense à mes camarades d’université : nous étudiions tous — qui le droit, qui les sciences politiques, qui la médecine, qui l’économie — pour apporter notre contribution à la société. On étudiait parce qu'on se sentait, comment dire, investis d’une mission qui consistait à agir sur notre société, détruite et malade, et injuste du reste, pour la changer. Certains voulaient devenir avocats pour défendre les pauvres, d’autres voulaient faire de la politique, d’autres encore devenir diplomates. Personne n’étudiait pour devenir conseiller financier, comme désormais tant de jeunes.

p. 65

Au moment où le Vietnam est unifié sous la houlette de Hanoi, la Chine s'entrouvre après les dernières secousses de la Révolution culturelle. Terzani s'y précipite pour découvrir l'envers du décor du maoïsme. Bien que le régime ait contribué à lutter contre les famines endémiques, il est totalitaire et nie les apports d'une civilisation millénaire.
À la recherche d'une alternative plus juste à la société occidentale, Tiziano Terzani découvre une négation de l'homme en Chine et l'hyperoccidentalisation de l'économie nippone. Ces désillusions l'incitent à se recentrer sur ses valeurs et le mènent, à la fin des années 1970, en Inde... Dans ce sous-continent de tous les contrastes, il trouve une voie qui le conduit à l'essence de l'homme.

Mais, putain, ce système nous impose des comportements qui sont complètement absurdes. On ne veut pas certaines choses, mais le système de la société de consommation nous séduit et nous convainc de désirer ces choses-là. Toute notre vie dépend de ce mécanisme. Il suffit pourtant de décider de ne pas participer à ce système en résistant, en jeûnant ; alors, c'est comme si on utilisait la non-violence contre la violence. Finalement, à quoi bon toute cette violence ? Ils ne vont tout de même pas nous les enfourner dans la gueule, leurs trucs !
Ce qu'il faut, c’est un effort spirituel profond, une réflexion profonde, un réveil profond. Ce qui, du reste, a quelque chose à voir avec la vérité, dont plus personne ne se soucie.

p. 460

Conscient du privilège qui lui a permis de vivre cette vie, Terzani peut se préparer sereinement au terme de son parcours terrestre.
La médiatisation de son détachement est quelque peu paradoxal. On pourrait en effet y voir le désir de laisser une empreinte. C'est aussi un encouragement à vivre pleinement sa vie et, ainsi que le suggère le titre original, à considérer notre fin comme un commencement.

Tiziano Terzani sur le site Der Spiegel
Hommage de Dieter Wild, son chef au Speigel
Robert Solé pour Le Monde
Sur les site des éditions Intervalles