Ducherow 1930

Hans Fallada Quoi de neuf, petit homme ? Folio (2007)

Un titre clin-d'œil à ce billet pour présenter un roman qui s'inscrit à nouveau dans la série des œuvres de littérature allemande des années 1930. Mais contrairement à celles présentées dans Berlin 1930, ce livre ne fut pas ciblé par les autodafés de 1933…
Ce roman se distingue d'abord des ouvrages de Döblin, Kästner et Haffner par son sujet. Sous le pseudonyme de Hans Fallada, Rudolf Ditzen (1893-1947) décrit la vie d'un couple ordinaire. Le Môme, employé de commerce, et Bichette doivent se marier car ils attendent un enfant.
L'auteur, rattaché au mouvement de la Neue Sachlichkeit (la Nouvelle Objectivité) décrit avec une profusion de détails leur existence. Leur rencontre improbable, lui l'employé et elle fille d'ouvriers. Leur lutte pour survivre dans le contexte économique sinistré de l'après-guerre et de la crise. Comment établir un budget quand chaque jour est incertain ? Comment trouver un logement lorsque chaque Pfennig compte ? Comment surtout conserver un travail ?
Les employeurs sont certes dans l'embarras car le travail manque. Chaque peccadille devient alors motif à licenciement. C'est ainsi que Johannes Pinneberg perd son emploi de comptable à Ducherow. Grâce à la prévenance d'Emma, sa Bichette, le Môme trouve une opportunité à Berlin et un emploi dans un grand magasin de confection.

Il sort tout juste de chez Lehmann, le chef du personnel du grand magasin Mandel, il a sollicité un poste la-bas, et il l'a obtenu, c'est une transaction professionnelle tout ce qu il y a de plus simple. Mais Pinneberg ressent d'une certaine manière que, suite à cette transaction, et bien qu'il soit de nouveau du côté de ceux qui gagnent leur vie, il est plus proche de ceux qui ne gagnent rien que de ceux qui gagnent beaucoup. Il est l'un d'entre eux, cela peut lui arriver d'un jour à l'autre d'être ici, lui aussi, à attendre, il ne peut rien y faire. Rien ne l'en protège.
Ah ! il est un parmi des millions, des ministres s'adressent à lui dans leurs discours, ils l'appellent à prendre sur lui, à supporter les privations, à faire des sacrifices, à se sentir allemand, à porter son argent à la caisse d'épargne et à voter pour le parti de gouvernement. Il le fait ou il ne le fait pas, c'est selon, mais il ne croit pas à ce qu'ils disent. Pas un mot. C'est inscrit au plus profond de lui-même, ils veulent tous que je fasse quelque chose pour eux, mais pour moi ils ne veulent rien faire. Que je crève ou pas, ils s'en foutent royalement, que je puisse aller au cinéma ou pas, ils s'en battent les flancs, que Bichette puisse se nourrir correctement, ou bien qu'elle ait trop d'émotions, que le Mouflet soit heureux ou miséreux - qui s'en préoccupe ?

p. 176

Fallada poursuit sa description minutieuse en détaillant les mesures de rationalisation qui permettent de maximiser les profits. Il épingle au passage le recours à des experts grassement payés pour supprimer ces postes qui ne permettent au mieux qu'à survivre.
Fallada aborde aussi la place de la femme dans la société (notamment en comparant l'existence d'Emma et de son frère Karl). La naissance du Mouflet est l'occasion de décrire le système social (les primes de naissance et d'allaitement, l'hospitalisation pour l'accouchement). L'opposition entre le mode ouvrier et celui des employés est aussi mis en évidence avec ses conséquences politiques les premiers étant davantage liés au parti communiste et les seconds plus facilement attirés par le parti nazi. L'auteur aborde aussi des problématiques sociales plus anecdotiques tels le naturisme, les loisirs ou le cinéma…
Grand succès de l'édition de la République de Weimar, le livre sera abrégé et modifié dès la prise de pouvoir par Hitler. Certains passages trop critiques à l'égard des nazis modifiés (le personnage de Lauterbach). La présente traduction a probablement restitué ce regard critique sur les membres du parti national-socialiste, mais doit se baser sur la version antérieure à 2016, date de la parution du texte intégral. A propos de ce dernier, la critique relève que bien que la pagination soit passée de 400 à 500, les caractéristiques du texte ne sont pas fondamentalement modifiées.

Les fermiers ne raffolaient pas particulièrement de le voir sur la voiture quand ils livraient des pommes de terre. Lauterbach s'apercevait tout de suite si le tri était mal fait, s'ils avaient triché en glissant des silesia à chair blanche dans les industries à chair jaune. Mais d'un autre côté, Lauterbach n'était pas si grave que ça. Certes on ne pouvait pas le soudoyer avec un schnaps - il ne buvait jamais de schnaps, car il devait protéger la race arienne de ces drogues de dégénérés -, il ne trinquait donc jamais, il ne fumait pas non plus de cigarettes.

p. 85

Malgré ses efforts, Johannes Pinneberg perd son emploi et rejoint les millions de chômeurs qui vivotent d'allocations, alors il s'efface pour éviter la honte.

Comment pourrait-on rire, rire de tout cœur, dans un monde comme celui-ci, avec des dirigeants économiques qui se sont renfloués, qui ont commis mille et une erreurs, et des petites gens humiliées et piétinées qui ont toujours fait de leur mieux ?

p. 396

À l'image de son héros, Rudolf Ditzen se retira dans le Mecklemburg, alcoolique et morphinomane, il meurt en 1947 non sans avoir écrit un dernier livre Seul dans Berlin, un roman sur la résistance allemande antinazie.

Commentaire sur le site Horizons et débats
Critique de la Süddeutsche Zeitung sur la version originale publiée en 2016