Pour une laïcité apaisée

Jean Baubérot et le Cercle des enseignant.e.s laïques
Petit manuel pour une laïcité apaisée. À l’usage des profs, des élèves et de leurs parents
La Découverte, 2016

Nous espérons contribuer à ce que la laïcité, loin d'être un instrument de stigmatisation, un voile jeté sur les inégalités sociales de l'Éducation nationale, redevienne, dans les écoles, le principe d'apaisement qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être.

p. 22

Les intentions des auteurs ont le mérite d'être précises. À visée clairement didactique, cet ouvrage repose les fondements de la laïcité scolaire et analyse son évolution récente dans un contexte très émotionnel.
Contrairement à Maclure et Taylor (cf. Laïcité et liberté de conscience) ou à Bobineau et Lathion (cf. Les musulmans, une menace pour la République ?), ils se focalisent sur la laïcité en France. Ils cherchent des voies pour éviter que l'instrumentalisation récente de ce concept entraîn des débordements dans les établissements scolaires les plus fragiles. Ils répertorient des réponses pragmatiques et conformes aux lois, programmes et instructions (françaises) à une douzaine de questions pratiques ("Que faire si un.e élève défend des arguments religieux en classe ?", "Que faire si un.e élève refuse un cours d'EPS pour des raisons religieuses ?" etc.).
La partie centrale de l'ouvrage met en évidence la contradiction entre la convocation de valeurs centenaires et leur utilisation à des fins politiques contraires à ces valeurs. "Le Cercle des enseignant.e.s laïques" met aussi en évidence le processus de laïcisation qui a profondément modifié la société et ses conséquences paradoxales sur l'influence du religieux dans les institutions.

La laïcité scolaire qui a triomphé était loin de faire consensus parmi les partisans de la laïcité. La circulaire d'application précise en effet que la loi du 28 mars 1882 «n'est pas une loi de combat [mais l'une] de ces grandes lois organiques destinées à vivre dans le pays.» Une laïcité visant à l'apaisement des conflits religieux l'a emporté sur la «laïcité intégrale» souhaitée par les milieux les plus farouchement antireligieux.

p. 38-39

Les auteurs relèvent que l'objectif premier était de permettre la liberté de conscience des usagers et, en particulier, des élèves. L'interdiction pour les élèves de porter des signes ou des tenues par lesquels ils manifestent ostensiblement une appartenance religieuse va à l'encontre de cette intention. En limitant cette interdiction aux signes religieux et en ne l'étendant pas à des signes politiques, voire publicitaires ou commerciaux, le législateur semble viser spécifiquement une population, celle des femmes musulmanes. La loi de 2004 est d'ailleurs dite «sur le voile à l'école».
"Le Cercle des enseignant.e.s laïques" considère comme dangereux de considérer les Musulmans comme une communauté monolithique et le port du voile comme une revendication unanime des hommes pour l'asservissement de leurs femmes. Alors que la laïcisation a produit une individualisation des croyances et du rapport à la religion, dès qu'il s'agit d'Islam cette évolution de la société dans son ensemble est oubliée. Ils voient dans cette essentialisation de la population musulmane un risque d'explosion du contrat social. À cet égard la troisième partie du livre est une invitation à la réflexion constructive, en respectant le cadre réglementaire, et en permettant l'expression des sensibilités personnelles.

Ces dernières décennies, la politique française à l'égard de l'islam relève plus […] d'une intervention de l'État dans le contrôle de la religion, que d'un traitement laïque. […] Comment reprocher aux musulman.e.s dans leur ensemble leur soi-disant non-respect de la laïcité, lorsque l'État ne respecte pas la laïcité dès lors qu'il est question d'islam ?

p. 104-105



Site de l'éditeur
Critique de Mark Hunyadi dans le Temps